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  • La pauvreté touche six stagiaires sur dix de Bruxelles Formation (Le Soir)
Publié le 19/10/2023

Précarité financière, logement insalubre, renoncement aux soins ou aux droits… Les embûches sont multiples pour les stagiaires les plus pauvres. Et pour les femmes, souvent, les difficultés s’additonnent. Au point de menacer, parfois, le parcours de formation qui doit améliorer leur sort.

Dans la salle de cours, les têtes sont penchées, rivées sur le papier que les stylos grattent plus ou moins lentement. Les stagiaires de Bruxelles Formation réalisent une dictée, au cœur de la gare portuaire, port d’attache de la filière préqualifiante, baptisée Tremplin. Parmi ceux-ci, certains figurent dans les statistiques alarmantes reprises dans la dernière étude de l’opérateur régional sur la situation sociale de ses stagiaires et publiées à l’occasion de la Journée mondiale de lute contre la pauvreté.

L’étude est constituée de deux parties. La première repose sur le nombre de bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) parmi les stagiaires. Les chiffres remontent à 2019 : on recense 43,8 % de BIM parmi les stagiaires en formation. Les femmes sont 48,5 % contre 38,8 % chez les hommes. Sans surprise, ce taux varie également en fonction du niveau d’études : « Il est de 48,6 % pour les personnes avec un faible niveau d’études, de 40,6 % pour celles avec un niveau d’études moyen et de 26,7 % pour les personnes hautement diplômées. » Enfin, les stagiaires non européens sont 57,2 %, contre 41,8 % pour les Belges et 26,7 % pour les Européens. Enfin le taux de stagiaires BIM varie selon la catégorie de formation fréquentée. On trouve la plus grande proportion de personnes en situation précaire dans le préqualifiant (56,3 %). Au sein de celle-ci, trois stagiaires sur quatre (76,1 %) fréquentant les formations en alphabétisation bénéficient de l’intervention majorée.

Le second volet apporte des résultats plus alarmants. Il s’agit de l’enquête basée sur le questionnaire européen Survey on Income and Living Conditions (Silk). Elle a été menée par le Service études et statistiques de Bruxelles Formation entre le 1 er janvier et le 31 août 2021, au départ d’une base de données de 8.910 stagiaires (le nombre de répondants varie selon les questions). « C’est une problématique très variée », constate Patrick Louis, assistant social au sein de Bruxelles Formation. « Il y a d’abord la précarité financière. » « Nos stagiaires sont originaires du croissant pauvre de Bruxelles », complète Christine Detraux, gestionnaire pédagogique à Tremplin. « Molenbeek, Schaerbeek, Anderlecht, Bruxelles Ville, Saint-Josse. »

Entre 10 et 20 % d’arrêts pour problèmes familiaux

De fait, plus de six stagiaires sur dix (61,6 %) déclarent des revenus inférieurs au seuil de pauvreté (1.366 euros pour une personne seule et à 2.868 euros par mois pour un ménage de deux adultes et deux enfants). Et 28 % indiquent avoir déjà renoncé à des soins médicaux pour raisons financières. « Les stagiaires en situation de précarité financière accumulent les problèmes de différents ordres, et qui tendent à se renforcer entre eux », lit-on dans l’étude : présence, ponctualité, concentration et
motivation à suivre une formation « sont difficiles à maintenir ». Le logement constitue souvent un autre obstacle sur le parcours de ces stagiaires précarisés. A Bruxelles Formation, deux stagiaires sur trois (66,3 %) sont locataires. Or, plus de la moitié d’entre eux (51,5 %) déclarent consacrer des dépenses de logements supérieures à 40 % de leur revenu, ce qui constitue une surcharge financière. Et l’insalubrité constitue un problème pour 56,1 % des 2.003 répondants. Enfin, 22 % des répondants avouent éprouver des difficultés à payer leur loyer ou leurs factures.

« On peut se permettre de régler certaines situations sociales avant que les stagiaires n’entrent dans une formation qualifiante », souligne Patrick Louis, en pointant la méconnaissance de certains droits comme source de difficultés supplémentaires. « D’ailleurs, on les pousse à venir nous voir pour poser toutes les questions avant que les problèmes ne surviennent. Parce que face aux difficultés, il arrive que des gens reprennent des petits boulots non qualifiés plutôt que de poursuivre leur formation qualifiante. Etre dans la précarité empêche de se projeter. On a des stagiaires qui sont au cours mais qui ont surtout des soucis financiers ou familiaux qui leur passent par la tête. » « La famille monoparentale est souvent un facteur d’arrêt », complète Christine Detraux. « Car les mamans doivent conduire les enfants à l’école ou à la crèche puis les récupérer, préparer les repas… Derrière le retard d’un stagiaire, il y a toujours un problème : on perd 10 à 20 % des stagiaires à cause de problèmes familiaux. »

Tout n’est pas négatif pour autant, insiste Patrick Louis : « Pour beaucoup de nos stagiaires, être en formation, c’est retrouver une vie sociale, sortir de l’isolement. » Et au cœur de la gare portuaire, ils embarquent pour demain.

Solution : augmenter et défiscaliser l’indemnité de formation

« Nous avons un très bon taux de sortie de formation : 75,9 % des stagiaires », souligne Olivia P’tito, directrice générale de Bruxelles Formation (BF). « Cela montre que ce que nous avons mis en place fonctionne. » Car face à la précarité des stagiaires qui apparaissait déjà dans les chiffres 2015 du nombre de BIM (45,7 %), l’office régional n’est pas resté bras croisés.

Ainsi, depuis 2020, le service d’accompagnement social a été renforcé, avec trois assistants et une coordinatrice. « Cela nous a permis de metre en place un atelier d’aide à l’apprentissage donné par des logopèdes et des neurophysiciens », ajoute Christine Detraux, gestionnaire pédagogique à BF. « On a aussi mis en place un atelier spécifique pour les femmes car on avait remarqué que les femmes originaires d’Afrique subsaharienne multipliaient les grossesses et abandonnaient leur formation. » Un autre atelier sur la monoparentalité a permis d’informer les parents solos sur l’existence d’un réseau de crèches partenaires d’Actiris et sur les autres solutions à leur disposition.

Mais face à la précarité, le nerf de la guerre reste l’argent. « Trois Bruxellois en formation sur cinq vivent dans la précarité », constate Bernard Clerfayt. « Il était donc urgent de doubler le montant de l’indemnité de formation pour ateindre deux euros par heure, sans pénaliser fiscalement les stagiaires. » Le ministre a d’ailleurs interpellé le ministre des Finances à ce sujet. « Parce que se former, c’est accéder plus rapidement à l’emploi et ainsi sortir de la pauvreté. »

Article publié le 17/10/2023:

https://www.lesoir.be/543816/article/2023-10-17/bruxelles-formation-six-stagiaires-sur-dix-sont-sous-le-seuil-de-pauvrete#:~:text=A%20Bruxelles%20Formation%2C%20six%20stagiaires,seuil%20de%20pauvret%C3%A9%20%2D%20Le%20Soir

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