En poste depuis dix ans, la patronne de l’institut de formation lance un appel aux entreprises pour accélérer le tempo des mises à l’emploi, dans un contexte tendu sur le marché du travail.
Question simple pour commencer : combien de personnes formez-vous ?
Environ 22 000 personnes ont été formées en 2022 par Bruxelles Formation et ses partenaires, dont 14 600 chercheurs d’emploi. Nous n’avons pas encore retrouvé les résultats d’avant le Covid (16 000), mais nous nous en rapprochons. Cette année, on constate une vraie reprise. On le constate au niveau des demandes sur mesure, au niveau des inscriptions en ligne. Les séances d’information font le plein. Beaucoup de gens nous viennent d’Actiris (ex-Onem, l’équivalent du Forem en Wallonie), évidemment, mais nous essayons de travailler davantage avec les entreprises.
Avec plus de 80 000 demandeurs d’emploi, un taux de chômage qui reste important, surtout chez les plus jeunes, et un taux d’emploi loin de la moyenne nationale (largement moins de 70 %), Bruxelles fait face à des besoins immenses…
Oui, il y a du boulot (rires). Bruxelles est une ville à part. Le taux d’emploi est fort impacté par les malades de longue durée, ce qui est une dimension à ne pas sous-estimer dans la capitale. Par ailleurs, 40 % des chercheurs d’emploi inscrits chez Actiris le sont sur la base de diplômes non européens. C’est un phénomène bruxellois et un gâchis de compétences parce que près de 5 000 personnes ont des diplômes étrangers dans le supérieur non reconnus ici. Cela dit, même les Français sont confrontés à ce problème d’équivalences. C’est déjà, là, un premier frein à l’élévateur social. C’est regrettable, parce qu’on rencontre ici beaucoup de gens qui se reconvertissent faute de pouvoir exploiter leurs capacités initiales en Belgique. Il reste un gros travail à réaliser pour accueillir mieux ces personnes et leur permettre de déployer leurs talents.
Bruxelles est-il un cas à part ?
Il y a énormément de schémas de précarité à Bruxelles. Venir à la Cité des métiers (centre d’orientation qui est le fruit de la collaboration entre Bruxelles Formation, Actiris et le VDAB Brussel, NdlR), c’est se projeter dans un avenir professionnel. C’est ouvrir la porte des possibles. On a ce rôle, d’abord, de lutter contre les précarités. Près de 45 % des gens qui viennent chez nous – et près de 60 % pour les stagiaires en formation –relèvent à Bruxelles du statut Bim (bénéficiaires de l’intervention sociale majorée,
aux revenus particulièrement modestes, NdlR). Les femmes, les chômeurs de longue durée ou les personnes qui ont une nationalité non européenne avec un diplôme étranger non reconnu sont un cœur de cible. Là, la formation professionnelle a un impact important chez ces personnes précarisées, qui ont eu un accident de vie, ou des jeunes qui sont un peu perdus. Dans le cadre de cette mission de lutte contre la précarisation, il était donc important de faire passer l’heure de formation à 2 euros brut l’heure ; l’accord de gouvernement prévoit que cette indemnité, qui est cumulable avec une allocation de chômage, passe à 3 euros en cas de formation suivie dans un métier en pénurie et même à 4 euros lorsqu’un emploi est décroché. Attention, c’est du brut, ces heures ne sont pas défiscalisées. Mais relever cet incitant pourrait aussi contribuer à mener à davantage de formations suivies – on en a les capacités – et d’emplois.
Il y a des marges d’amélioration, comme on le dit souvent diplomatiquement…
Oui, mais cette agilité dont on parle beaucoup dans les entreprises, on doit aussi la pratiquer au quotidien en tant que service public, parce que le marché de l’emploi est tendu, avec de gros besoins, et que l’adéquation entre l’offre et la demande se fait difficilement. Les FPIE (Formations professionnelles individuelles en entreprise, NdlR) se passent très bien, notamment dans les métiers en pénurie, mais il n’y en a pas assez. Les résultats sont pourtant probants puisque ce qu’on appelle le taux d’achèvement (le taux de retour durable à l’emploi) est de près de 87 %.
Est-ce que la valeur “travail” n’a pas été mise à mal ces dernières années ?
Sincèrement, je ne veux pas faire d’angélisme, mais les gens que l’on rencontre au quotidien, quand on fait le tour des centres de formation, ce sont des gens dont la motivation première, contrairement aux idées reçues, est de retrouver une place dans la société. Personne ne se complaît dans la précarité. Pour ces gens, retrouver un travail, c’est d’abord retrouver de la confiance en soi, de la dignité aussi. C’est le premier vecteur d’émancipation sociale, c’est une évidence. À force de dire aux gens qu’ils ne valent rien, qu’ils sont des poids pour la société, vous mettez à mal l’estime de soi et la capacité à retrouver la voie de l’emploi. La stigmatisation n’est pas sans effets. C’est pour cela qu’il est important d’ouvrir toujours plus de portes… C’est d’autant plus vrai que, contrairement aux préjugés qui circulent, les travailleurs bruxellois sont les plus mobiles du Royaume.
Comme ?
Prenons l’exemple de la FPIE (Formation professionnelle individuelle en entreprise, NdlR), qui fonctionne bien. Quelque 2 000 contrats en sortent par an. C’est bien. Mais on peut faire le double. Cela dépend juste des employeurs. Je ne sais pas pourquoi mais les entreprises hésitent parfois à nous solliciter. J’ai envie de dire : “Utilisez-nous !” Franchement, on peut faire de belles choses ensemble, pour justement relier deux mondes qui ne se côtoient pas assez. Nous avons des formations sur mesure, mais trop peu d’employeurs font appel à nous pour leurs engagements quand ils s’installent. C’est dommage parce qu’en amont, au-delà des formations sectorielles (comptabilité, numérique/digital, bâtiment, etc.), on est aussi en mesure de donner des remises à niveau en matière linguistique, par exemple. Bref, nous sommes capables de nous adapter à tout dans le développement de compétences, les employeurs doivent le savoir. Et pas seulement au niveau des remises à niveau dans des compétences de base (langues, etc.), mais aussi en matière numérique. La fracture numérique touche encore une partie significative des demandeurs d’emploi.
Vous lancez donc un appel aux entreprises…
Oui. Des idées reçues sur le marché de l’emploi bruxellois, il y en a beaucoup. J’ai évoqué la mobilité, la volonté de retrouver ou tout simplement de trouver une place sur le marché du travail, mais cela dépend aussi de la volonté des employeurs. Qu’ils se manifestent, qu’ils soient créatifs, qu’ils n’hésitent pas, et on se mobilisera. La première étape, ce serait déjà qu’ils passent d’office par Actiris. Ensuite, on peut nouer des partenariats, quasi sur mesure. D’autant que les “affaires” reprennent, si j’ose dire. Il y a eu une période Covid forcément plus compliquée, mais, ici, on sent qu’on est en passe de la mettre derrière nous. Le dernier Salon de la formation a attiré beaucoup de monde, les initiatives interrégionales foisonnent. Je crois aussi qu’il faut régionaliser la formation professionnelle, créer un service public régional de formation professionnelle bilingue, en collaboration avec Actiris et le VDAB (l’équivalent du Forem wallon en Flandre). Ce serait une étape de plus, importante, en vue d’améliorer encore le taux d’emploi à Bruxelles.
Source: François Mathieu, La Libre
Crédit photo: Bernard Demoulin